Conseils stratégiques et tactiques par Xavier Blanchot
article paru dans Casus Belli n° 64
Les Diadoques simule le partage de l'empire d'Alexandre, mais précisons que le jeu est
d'abord une abstraction, en ce sens que l'histoire n'y prend pas le pas sur la
jouabilité, et que les grands principes inhérents à tout jeu de
négociation, comme l'interactivité ou la cohérence spatiale, ont
été respectés. C'est pour cela qu'en fait de « partage »,
l'évolution d'une partie ne tend absolument pas vers une stabilisation des forces
suite à leur épuisement, bien au contraire. Examinons les trois phases
(ouverture, expansion, hégémonie) qui vont caractériser toute partie.
« La Fortune aime les gens peu sensés ; elle aime les audacieux et ceux qui
ne craignent pas de dire : le sort en est jeté. » Erasme, Éloge de la
folie.
L'ouverture
Chaque diadoque devra d'abord penser une « ouverture », avec cela d'original que
si quatre des joueurs (Antipater, Lysimaque, Ptolémée, Séleucos)
entament leur action des coins de la carte vers ses côtés, pour ensuite
s'étendre vers le centre, les deux autres (Antigone, Eumène) sont
obligés de faire le cheminement inverse. En fait, on peut avoir trois visions de la
répartition des armes. La première consiste à établir deux lignes
de force, l'une reliant Antigone, Eumène, et Lysimaque, dans l'angle fermé de
la carte (ce qui les oblige à un jeu agressif), l'autre reliant Antipater,
Ptolémée et Séleucos dans l'angle ouvert, moins propice aux confIits. La
deuxième met en relief l'affrontement est-ouest : Séleucos,
Ptolémée et Eumène faisant face à Antigone, Antipater et
Lysimaque. La troisième sépare deux zones de conflit : l'une, continentale,
où s'affrontent Antigone, Eumène, et Séleucos ; l'autre, maritime,
disputée par Antipater, Lysimaque et Ptolémée.
Mesurer ses ambitions
Penser une ouverture, c'est se fixer des objectifs, en sachant que tout siège (hors
corruption) nécessite un délai de trois saisons : une pour
pénétrer dans la province de la citadelle, deux pour en prendre le
contrôle. Et aucune citadelle n'est à moins de deux saisons de la province de
départ des forces expéditionnaires. Or du succès des siège
des principaux centres urbains de l'empire dépend le succès d'une politique,
quel que soit le moment dans la partie où elle est élaborée, et donc
d'autant plus lors des premières années. Puisqu'il faut compter plus d'un an
pour réussir à concrétiser un tel objectif, on doit donc accepter
l'idée que toute ouverture se fait au moins sur deux ans. Plus une ouverture est
réussie, mieux le diadoque est positionné en -319, pour envisager des plans
offensifs et profiter des opportunités diplomatiques : un voisin qui aura du temps
(donc de l'argent !) sera alors une proie de choix !
Au commencement régnait la paix
En -321, personne n'a les moyens de faire la guerre, ne serait-ce que parce que tout le
monde dispose de la même puissance militaire. Un conflit se traduirait obligatoirement
par un affaiblissement immédiat de la puissance des deux parties engagées, pour
le plus grand profit de leurs voisins respectifs. Partant de ce constat,
réfléchir à une ouverture, c'est d'abord étudier la
géopolitique relative à la position de la capitale administrative (Pella,
Gordion, Ancyre, Alexandrie, Babylone, Lysimachia) de son camp. L'ouverture doit composer
avec certaines réalités géographiques : désert, zones inondables,
montagnes, cols... Ainsi, certaines zones de la carte (la Grèce, la
Coélé-Syrie) laissent peu d'espace pour le passage des phalanges.
L'étude de l'influence des provinces non ravitaillées sur les mouvements est
donc obligatoire.
Arpenter son domaine
D'année en année,' les négociations vont porter essentiellement sur la
délimitation des frontières des satrapies et sur les limites de leur
suzeraineté. Il n'y a aucun déterminisme dans le jeu des alliances, si ce n'est
peut-être la neutralité qui semble s'imposer entre Eumène et Antigone,
dos à dos et très proches de leurs capitales respectives. Le fait majeur des
premières années, c'est que le théâtre des opérations n'est
pas saturé par des unités en tous genres ; c'est notamment sensible sur mer,
où les flottes disposent d'une large amplitude de mouvement. Même si le joueur a
peut-être l'impression de jouer ses premiers coups en solitaire, il ne devra pourtant
pas négliger le jeu des alliances. C'est justement parce que les tensions sont peu
apparentes en -321, qu'il faut en profiter pour poser les bases de pactes durables. Ce
round d'observation, cette longue prise de contact, permet aux joueurs de se familiariser
avec le contexte de la partie, et de découvrir plus sûrement leurs partenaires.
De l'or pour les braves
La rentabilité de l'ouverture est obligatoire, ne serait-ce que parce que chaque
diadoque est obligé de profiter de cette accalmie, et des distances existantes, pour
accumuler un trésor de guerre, tout à la fois offensif et défensif,
dissuasif et diplomatique. Cette course au trésor, cette ruée sur les talents
accessibles est d'autant plus cruciale que l'argent sort toujours plus vite d'un
trésor qu'il n'y rentre. Les possibilités de tractations financières
sont certes très réduites, mais sont d'autant plus intéressantes que, si
elles sont risquées, elles peuvent être immédiatement
rentabilisées. Les années -321 et -320 se jouent malgré tout sans la
crainte de la corruption, pourtant techniquement possible dans le cadre d'une alliance et
d'un fonds commun de placement. C'est aussi pour cette raison que l'utilisation militaire des
diadoques y est optimale : leur commandement rendant la corruption absolument impossible, ils
n'ont rien à en craindre. Par contre, à partir de-319...
L'expansion
Contrairement aux ouvertures, elle est difficilement modélisable. Les
stratégies sont extrêmement variées, du fait que les revenus d'un domaine
ne sont pas dépendant de sa cohérence géographique. De plus, le jeu
encourage la pratique de l'intoxication et de l'attaque surprise. Ce n'est pas le moindre des
charmes des Diadoques que toutes les mystifications y soient encouragées. En fait,
comme pour la plupart des bons jeux de négociation à vocation historique, le
succès d'une expansion repose sur la prise en considération de la trilogie
tactique-stratégie-diplomatie, qui plus est affecté à chaque niveau par
la relation à l'argent.
La tactique
« Ne proclamons nul homme heureux avant sa mort. » Sophocle
Enseignée aux citoyens dans chaque cité grecque, elle est logiquement à
l'honneur ! Les chilliarques et autres navarques devront avoir l'Imagination fertile, compte
tenu du nombre relativement restreint d'unités sur la carte, de leurs qualités
différentes, du bonus apporté par la présence du diadoque, de
l'influence du terrain, et bien sûr des risques de corruption. C'est ainsi que si
l'anticorruption doit toujours être justifiée, il ne s'agit pas de s'endormir,
de peur de n'être réveillé que par les aboiements furieux de
Cerbères, pour comparaître devant le tribunal des Enfers. Tant que
l'année -317 n'est pas écoulée et que les Épigones ne sont pas
assez âgés, chaque diadoque doit se méfier de toute unité jouxtant
celle qu'il commande. En effet, le jeu permet des blitz tout autant militaires que
financiers, d'autant plus efficaces s'ils sont menés conjointement sur mer et sur
terre : le convoi est l'ordre d'attaque à la fois le plus radical et le plus naturel.
C'est donc d'abord d'imagination dont doivent faire preuve, à l'image d'Alexandre, les
stratèges en quête de bonne fortune.
La diplomatie
« La connaissance des mots conduit à la connaissance des choses. »
Platon
Elle consiste essentiellement à se faire le moins d'ennemis possible tout en obtenant
la part la plus avantageuse. Toute guerre est coûteuse, tant par les phalanges et les
trirèmes dont elle oblige l'entretien que par les suppléments de soldes ou les
corruptions qu'elle nécessite. Il s'agit donc de ne pas avoir à se battre de
tous les côtés, malgré l'intérêt évident qu'il y a
à prendre une initiative offensive. Le jeu permet un transfert diplomatique du
prestige comme de la puissance - don d'or, prêt, échange de citadelle sans
combat, mouvement des membres de la famille royale -, ce qui permet de sceller toutes les
alliances et d'organiser tous les complots. Les flux financiers, de surcroît secrets,
font oublier les distances qui peuvent séparer deux royaumes et font que chaque
diadoque doit compter non avec un ou deux interlocuteurs, mais bien cinq ! À chacun de
mettre à profit l'éducation des pythagoriciens, et de s'essayer à
l'éloquence réfléchie et persuasive d'un Péricles ou à
celle, emportée et charismatique, d'un Démosthène.
La stratégie
« Athéna veille sur le sage et aveugle celui qu'elle veut perdre. »
Maxime grecque
À tous les nobles Macédoniens qui l'entouraient, collaborateurs de son
père ou jeunes gens de son âge, Alexandre semble avoir donné une
leçon d'audace. La stratégie, faisant office de pythie, consiste donc surtout
à ne pas perdre de vue que l'horizon opérationnel ne se limite pas à la
réussite du siège de la citadelle majeure la plus proche, même si,
effectivement, c'est la poliorcétique qui rythme toutes les parties. Il s'agit d'avoir
une vision à la fois précise et prophétique de la géopolitique de
la partie. Celle-ci est faite de constantes - ainsi, l'essentiel des points de victoire est
placé autour de la Méditerranée, et surtout de la mer Egée - et
de variables : un événement, comme la révolte générale des
Grecs ou une colère subite de Poséidon peut toujours venir perturber un plan.
La stratégie est donc plus que de la politique-en-acte ; à travers le principe
du conflit, le « polemos », elle est, comme le suggère Héraclite,
« le père de toute chose ». À chaque joueur de relier constamment
le fait politique aux faits militaires et financiers. C'est ainsi que, plus
prosaïquement, on essaiera de conserver en mémoire, par approximation, le montant
des talents engrangés par chaque joueur. Dans le jeu comme à l'époque,
il n'est pas aisé de faire la différence entre la tactique et la
stratégie, même si paradoxalement, elle procéda justement de la
réflexion de contemporains comme Thucydide, Xénophon ou Polybe.
L'hégémonie
« La renommée est le parfum des actions héroïques. »
Socrate
La victoire d'un diadoque se décide la plupart du temps à la suite d'un
engagement militaro-financier massif, parti parfois de très loin. C'est pour cela que
repousser un diadoque hégémonique est pour ceux qui ont survécu à
son expansion une gageure ; la moindre erreur peut se révéler fatale, et il
convient d'agir avec la plus extrême prudence, tout en lui contestant l'initiative. II
faut considérer que le quota des P.V. décidant de la victoire est fluctuant, et
qu'il baisse à la disparition d'un joueur comme d'un membre de la famille royale ou
à la chute d une capitale. C'est sans doute pour cela que les fruits de la victoire
poussent d'abord en Asie, entre Gordion et Ancyre.
Xavier Blanchot